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Traduire Shakespeare avec Google Traduction

Le résultat du travail de Davina Sammarcelli se veut un pont « entre les vieux métiers du livre » et son « mode de vie hyperconnecté ». Shakespeare est difficile à traduire, parfois même à comprendre, même pour un anglophone. L’étudiant peinant sur l’une de ses pièces en garde peut-être ce souvenirdouloureux : cette fois-là, une traduction automatique n’a (vraiment) rien pu faire pour vous.Et pourtant, Davina Sammarcelli, imprimeuse de profession, a traduit Hamlet avec Google Traduction. « Ham-let » devient en toute logique « Jambon-laissé », et le patronyme de l’auteur un élégant Guillaume Remuepoire.La quatrième de couverture du livre ne laisse planer aucun doute, passer l’anglais du XVIe siècle à la moulinette numérique n’a pas pour but de faire découvrir les trésors de la langue :

« Google Traduction a bien des mérites, mais certes pas celui de rendre justice à William Shakespeare, quand bien même le géant de Mountain View et le génial créateur

d’“Hamlet” partagent la même langue maternelle. »

Derrière un personnage mis en scène sur Twitter, L’Indéprimeuse, Davina Sammarcelli partage en ligne ses créations décalées, jouant à croiser les codes du livre papier et ceux du numérique. Jambonlaissé est l’un des projets nés de cette volonté de faire un pont « entre les vieux métiers du livre » et son « mode de vie hyperconnecté ».

L’objet, qui se présente comme un objet d’art plutôt qu’un livre (il en existe peu d’exemplaires vendus au prix de 50 euros), ne veut pas « opposer les univers du papier et du numérique », son auteur étant fermement opposée à l’idée que les métiers du livre « sont en train de mourir » et qu’il faudrait en quelque sorte défendre l’objet contre Internet.

« Le décalage, ce qui fait la bizarrerie de ce livre, c’est d’en avoir fait un objet noble, dans du beau papier, une belle police, et d’y lire un texte numérique », explique-t-elle. Le projet n’était d’ailleurs pas de ridiculiser Google Traduction, dont la précision ne cesse de progresser. La traduction de L’Indéprimeuse est datée (octobre 2016) afin d’éviter toute confusion à ce sujet, Google ayant amélioré son modèle depuis.

L’idée de la traduction d’Hamlet est venue d’un univers littéraire bien précis, celui du théâtre de l’absurde et plus particulièrement d’Eugène Ionesco. Le dramaturge a eu l’idée d’écrire La Cantatrice chauve en essayant d’apprendre l’anglais par la méthode Assimil, frappé par l’absurdité des dialogues à apprendre par cœur. Cet anglais saccadé, simplifié, c’est aussi un peu celui de Google Traduction.

Davina Sammarcelli choisit alors de « prendre ce qu’il y a de plus noble dans la langue anglaise » et de jouer à en faire un texte heurté et sans poésie.

En pratique, ça donne un livre, évidemment, illisible, qui en fait presque mal aux yeux. La mauvaise qualité tranche de manière frappante avec la noblesse du papier grainé et la couverture rappelant les plus prestigieuses maisons d’édition françaises.

Mais Google a également permis quelques trouvailles savoureuses. Au début de l’acte V, la scène se passe dans un cimetière où entrent « deux clowns, avec des pelles ». Ainsi va la première didascalie (indication scénique) dans la pièce de Shakespeare :

« A churchyard. Enter two Clowns, with spades. »

Google Traduction ne peut pas deviner, bien sûr, que « clowns » en anglais shakespearien désigne un personnage rustique, un « paysan ».

L’enchaînement des répliques relève parfois du cadavre exquis :

« BERNARDO : Avez-vous eu la garde tranquille ?

FRANCISCO : Pas d’agitation de la souris. »

Parfois, des termes sont restés en anglais.

« OPHELIA : Nay, tis deux fois deux mois, monseigneur.

HAMLET : Si longtemps ? Nay alors, que le diable porte du noir, pour Je vais avoir un costume de zibelines ».

A plusieurs reprises, la tragédie shakespearienne se trouve ridiculisée par des fautes grossières, comme ce passage où la reine annonce la mort d’Ophélie en répétant « Noyé, noyé ! » et décrit le tableau hors scène d’Ophélie dans l’eau, qui deviendra un thème de la peinture anglaise :

« Il y a en travers d’un ruisseau un saule qui mire ses feuilles grises dans la glace du courant. »

est devenu :

« Il y a un saule pousse aslant un ruisseau, Cela montre son hoar laisse dans le flux vitreux. »

Pas de quoi inspirer les générations futures.

Depuis la parution de Jambonlaissé, L’Indéprimeuse a réussi d’autres décalages savoureux. Rappelez-vous de Comic sans MS, la police de caractères capable de décrédibiliser n’importe quel texte. N’importe quel texte, même celui d’un grand philosophe ?

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